La pierre Saint-Martin (ou Puits ou encore Pinte de Saint-Martin)
Corancez peut s’enorgueillir de posséder l’un des plus beaux polissoirs de France.
Un héritage de la préhistoire
Au début du Néolithique, période qui s’écoula approximativement entre -5000 et -2500 avant Jésus-Christ, les hommes commencèrent à pratiquer l’agriculture et l’élevage. Ce nouveau mode de subsistance les obligeant à se fixer, des communautés paysannes s’installèrent dans notre région. Parallèlement à cette révolution, de nouvelles techniques apparurent comme le tissage, la poterie et le polissage des pierres. Ce dernier phénomène technologique fut d’ailleurs à l’origine du terme Néolithique qui sous-entend “âge de la pierre polie”. Cette période fut également marquée par l’apparition et l’expansion du mégalithisme, c’est-à-dire l’emploi de grosses pierres dans la construction de sépultures collectives – les dolmens- ou l’érection de stèles verticales -les menhirs- dont les fonctions demeurent encore inconnues. Le réemploi de certains polissoirs dans la construction de dolmens et la présence de haches polies dans ces derniers intègrent les polissoirs dans l’étude du mégalithisme. Le Puits de Saint-Martin est ainsi l’un de ces mégalithes préhistoriques qui existent encore dans les champs.
Polissoirs, polissage et haches polies
Pour façonner leurs haches, les Néolithiques usaient des ébauches taillées par frottement sur de grosses pierres dures en grès ou en roches cristallines affleurant sur le sol que l’on appelle maintenant polissoirs. Cette technique provoquait l’usure réciproque de la hache et du bloc rocheux, laissant sur celui-ci des marques profondes appelées rainures ou cuvettes selon l’opération effectuée. Un mouvement alternatif ample permettait de façonner les tranches de la hache et déterminait les longues rainures, alors que les faces étaient obtenues par des mouvements circulaires et de balancement de l’ébauche créant des cuvettes. Selon des expériences récentes, le polissage d’une hache ne demandait que quelques heures. L’abrasion pouvait être améliorée par adjonction de sable, d’eau voire même de poudre de calcaire pour obtenir un beau lustré de finition. Elles permirent également de constater que l’usure du bloc rocheux était relativement rapide, impliquant l’existence de très nombreux polissoirs pour assurer notamment l’énorme production de haches polies recueillies dans notre région. Face à cette déduction, on ne peut qu’imaginer l’importante destruction de ces ateliers.
Le polissoir de Corancez
À mille mètres de la sortie du village en empruntant la rue… du polissoir, sur la gauche de la route menant de Corancez à Vovelles, à presque une centaine de mètres dans le champ, gît une grosse pierre plate de 5,30m de long sur 2,20m de large dépassant à peine du sol et relevée vers l’est, c’est le Puits ou la Pinte de Saint-Martin, un des plus beaux polissoirs d’Eure-et-Loir.
Comme la plupart de ses homologues du département, le Puits de Saint-Martin est un gros bloc de grès sparnacien, variété de grès quartzite légèrement rosé et très dur. Cette roche abondait dans les environs de Chartres où elle était désignée sous le nom de ladère.
Le Puits de Saint-Martin présente à lui seul 33 rainures et 8 cuvettes, ce qui est considérable, réparties en trois zones de travail distinctes. À l’ouest, se trouve un important groupe de petites rainures et de cuvettes orientées Nord-Sud sauf 4 rainures parallèles au bord Sud. Au milieu, le bord Nord est occupé par un ensemble de 9 rainures. Enfin le groupe situé au Nord-est parait le plus intéressant avec 3 cuvettes mais surtout ses rainures très longues atteignent parfois 80cm. La longueur exceptionnelle de ces dernières laissent imaginer une technique de polissage bien particulière avec des mouvements de grande amplitude semblables à ceux de scieurs de long : l’ébauche étant maintenue dans la mortaise d’une pièce de bois alourdie par une charge, l’ensemble serait actionné par deux hommes, mais ce n’est qu’une hypothèse. Enfin notons au centre du polissoir la présence d’une grande cavité naturelle d’une soixantaine de centimètres de diamètre et d’une dizaine de centimètres de profondeur propre à conserver de l’eau pendant plusieurs jours après une averse. Cette cavité qui permettait de disposer d’eau sur place pour lier l’abrasif ou simplement nettoyer les pièces, est intimement liée à l’appellation de « puits » du monument.
D’autre part, sa position actuelle dans un environnement géologique calcaire dénote et suggère fortement un transport de cette pierre. Elle pourrait donc avoir eu une autre fonction. On pense à celle de sépulture sous dalle, où le polissoir ou le bloc rocheux initial aurait été utilisé pour recouvrir une inhumation simple.
Ce polissoir fut classé Monument Historique en 1887 et se trouve sur un terrain appartenant à la Société Préhistorique Française.
Corancez, bulletin municipal n°4, avec l’aimable autorisation de Jean-Luc RENAUD, article de février 1993, comité archéologique d’Eure et Loir.